mercredi 10 décembre 2014

Le sacrifice du BM 24 à Obenheim

Le sacrifice du bataillon de marche 24 lors de la défense du village d'Obenheim, en janvier 1945, durant les combats pour conserver Strasbourg, est l'un des événements marquants, et pourtant méconnus, de la bataille d'Alsace. Unité de la 1ère division de marche d'infanterie, le BM 24 avait notamment incorporé, lors du «blanchiment» de cette grande unité, l'escadron Grange du 11e régiment de cuirassiers (FFI). Parmi les victimes des combats d'Obenheim identifiées par le Service historique de la Défense, la plupart étaient originaires des départements des Ardennes, de la Loire, du Rhône et de l'Aisne. Le bataillon était confié au commandant Pierre Coffinier, 35 ans. 

 Plusieurs récits de ces combats sont consultables sur Internet, notamment sur le site de la 1ère DFL et sur celui de la fondation BM 24 Obenheim. Nous avons choisi ici de reproduire une évocation enlevée de la bataille signée du général René Chambe, dans son ouvrage «Le 2e corps attaque» (1948). «… Tout le BM 24, étroitement assiégé, se prépare à une résistance désespérée. Dans la nuit du 9 au 10 (janvier), Obenheim est bombardé d'une manière ininterrompue. Les pertes sont sévères. Le 10 au petit jour, un avion ennemi lance des tracts invitant la garnison à se rendre. Vers 11 h, des parlementaires allemands, un officier et deux sous-officiers, s'avancent sur la route de Boofzheim à Obenheim, agitant le traditionnel drapeau blanc. Le commandant Coffinier leur fait répondre qu'il refuse de les recevoir et qu'ils aient à disparaître au plus vite. Les parlementaires saluent et s'en vont. Le bombardement d'Obenheim reprend bientôt avec rage. Les pertes en hommes ne sont pas très lourdes au début de cette matinée du 10, mais le matériel d'artillerie, les mortiers et les mitrailleuses ont beaucoup à souffrir. Presque la moitié en est mise hors d'usage. A 13 h, l'aviation française tente de ravitailler la garnison. Deux vagues d'avions volant sud-nord parachutent des vivres, des munitions et des médicaments. Une faible partie en tombe dans les lignes allemandes. La plus grande part est bien perçue, malgré quelques pertes dues à l'écrasement de certains colis à l'arrivée au sol. A 14 h, Obenheim est en flammes, les lignes téléphoniques intérieures sont coupées. Plus de 50 blessés sont entassés dans les caves du village. Les pertes augmentent maintenant d'une manière impressionnante. Il y a de nombreux morts ou disparus.... A 16 h, les chars et l'infanterie allemands sont signalés au nord et se déploient face au village. La situation du BM 24 devient critique. C'est évidemment l'attaque décisive... Masqués par des émissions de fumée, les Tigres et les Panthers avancent, accompagnés d'une nombreuse infanterie précédée de tirs nourris de lance-grenades. C'est la 2e compagnie (lieutenant Pochat) qui, établie en avant de la lisière du village, reçoit le premier choc. Le contact est d'une violence inouïe et tourne rapidement au corps à corps. Après une demi-heure de combat, les sections du sous-lieutenant Garnier et de l'aspirant Debiez-Piat ont perdu presque tous leurs effectifs. Leurs armes automatiques sont, pour beaucoup brisées, ou enlevées, ou enrayées par le froid. Malgré leurs efforts désespérés, ces malheureuses sections, décimées, sont refoulées au sud du cimetière. Sur appel radio de la liaison-artillerie, un tir d'arrêt est appliqué sur la ligne prévue, au nord et au nord-est du village, il arrive exactement à l'instant propice et provoque de sombres ravages dans les rangs ennemis. Les uniformes feld-grau, ou portant la cagoule blanche, jonchent bientôt la neige rougie de sang. L'élan des assaillants, un moment ralenti, n'en continue pas moins et vient battre la lisière même d'Obenheim. L'attaque se généralise. Elle se développe maintenant sur les quatre faces à la fois. Le barrage général d'artillerie est demandé d'urgence. Bien ajusté, il est particulièrement efficace. Cependant, la 2e compagnie de fusiliers-voltigeurs, réduite à moins de la moitié de son effectif, faiblit. Des chars Panthers, embossés maintenant au cimetière, ouvrent le feu à très courte distance et détruisent systématiquement les points de résistance. Dans un duel épique, le sergent-chef Giscard, survivant d'un groupe de combat, sert, tout seul, son canon de 57 antichars et réussit à mettre un Panther en flammes. Mais sa pièce est aussitôt atteinte. Une de ses roues vole en éclats. Le tir devient impossible. L'ennemi n'étant plus qu'à quelques mètres, Giscard fait sauter sa pièce et va se battre au revolver. Sur la face Est, l'ennemi attaque le long de la route de Daubensand et s'infiltre avec opiniâtreté entre les points d'appui de la 1ère compagnie, les isolant les uns des autres. Les effectifs sont faibles et les munitions font défaut. L'attaque est cependant contenue. Sur la face Sud, la proximité des bois facilite les infiltrations. Le point d'appui du sous-lieutenant Vourch et le point d'appui du lieu-dit Les Moulins sont encerclés et luttent farouchement, au corps à corps. L'aspirant Munoz, plusieurs fois sommé de se rendre avec ses hommes, riposte par des contre-attaques à l'arme blanche. La situation empire de minute en minute et il est impossible d'établir une liaison entre Obenheim et les sections Vourch et Munoz. Sur la face Ouest, l'ennemi paraît moins mordant, tenu en respect par des tirs d'arrêt qui, à chaque tentative, lui causent des pertes hors de proportion avec le mince intérêt que peut présenter la prise de ce modeste village dont la conquête ne mène à rien. Quand la nuit tombe, Obenheim tient toujours, mais le combat n'a pas diminué d'intensité. On se bat maintenant dans le village même. Les débris de la section Vilain, mêlés à ceux de la section de l'aspirant Cailleau (Note : neveu du général de Gaulle), sont envoyés former un barrage près de l'église, car la 2e compagnie, qui a soutenu le choc principal depuis plusieurs heures, est submergée et plie. Ses derniers défenseurs, regroupés par le lieutenant Pochat, luttent encore autour du presbytère. Mais les chars lourds allemands pénètrent à présent de toutes parts dans le village. Le commandant Coffinier, une nouvelle fois, signale par radio que la situation devient extrêmement critique et qu'il est urgent que le BM 24 soit enfin dégagé. Dans une heure ce sera trop tard. A 20 h, l'ennemi a presque atteint le cœur du village. Ses chars sont à quelques mètres de l'église. Ils tirent à bout portant sur les barricades où se battent désespérément les quelques survivants de la 2e compagnie. Le valeureux lieutenant Pochat est grièvement blessé, tous ses hommes tués ou blessés. La 2e compagnie est entièrement anéantie, tout l'effectif hors de combat ou fait prisonnier. La 1ère compagnie recule pied à pied et n'a plus ni grenades, ni munitions de mitrailleuses. Les mortiers de la CA n'ont plus d'obus. La plupart des pièces sont d'ailleurs brisées ou perdues. On se bat au corps à corps dans les rues, à l'intérieur de la plupart des points d'appui. C'est l'agonie du BM 24 (…) Des larmes de rage aux yeux, la gorge serrée, le commandant Coffinier a donné les ordres suprêmes : les véhicules, les appareils de radio, les armes lourdes, mortiers, mitrailleuses, sont successivement détruits, livrés aux flammes. A 21 h, tout espoir est perdu. C'est la fin. Le commandant Coffinier, pour ne pas sacrifier inutilement des vies précieuses, donne l'ordre aux derniers survivants de déposer les armes (…) Plus de 60 tués, près de 200 blessés graves, autant de disparus attestent une admirable résistance (…) Certains groupes isolés refusent de jeter les armes (…) L'ennemi, toute la nuit, s'emploiera à réduire, un par un, ces îlots de résistance (…) Les héroïques habitants d'Obenheim restés dans le village cacheront quelques uns (des soldats) (une trentaine) au plus profond de leurs caves, afin de les soustraire à la capture (…) Ils les garderont ainsi pendant quelques jours, alors que le village sera étroitement occupé par les soldats allemands. C'est le 11 janvier, à 11 h du matin, que tout est fini et que le BM 24 est vraiment mort (…) A 11 h 05, c'est le silence. Le BM 24 a vécu. Seuls, le lieutenant Vaillant (un Alsacien servant sous un faux nom) et une dizaine d'hommes réussiront à s'échapper d'Obenheim et, le 12, rejoindront les lignes françaises. Ce succès n'apporte aucun avantage à l'ennemi. Certes il a détruit un bataillon français, mais il a lui-même perdu les trois-quarts d'une compagnie de S et toutes les unités d'infanterie de panzer engagées ont, de leur côté, perdu 40 % de leurs effectifs...» 

Selon le site de la 1ère DFL, le bataillon aurait perdu une centaine de tués. Le SHD recense 163 morts et disparus, mais tous n'appartenaient pas au BM 24 (certains au bataillon de commandement n°4). Parmi eux, des soldats qui n'avaient pas 18 ans comme l'Ardennais Bernard Modaine, disparu, n'aurait que 15 ans et deux mois, le Lyonnais Pierre Rouchais, disparu, 15 ans et demi, Claude Croizay, 16 ans et demi, les Ardennais Robert Colombe et Eugène Derkacz, 17 ans, Nicolas Lefevre, 17 ans et demi, Henri Martin, 17 ans...