Des volontaires aubois du 131e RI, coiffés du casque italien. (Photo Libération-Champagne).
Créé à Troyes le 8 décembre 1944, le 131e régiment d'infanterie fait mouvement du 13 au 16 février 1945 vers l'Ouest. Placé sous les ordres du lieutenant-colonel Norbert Durand, il relève le IV/93e RI le 22 février 1945 dans les secteurs de Marans et Charron, devant La Rochelle. Le lendemain, le I/131e RI s'installe sur les positions du 125e RI. Chaillé-les-Marais accueille le PC du régiment, qui subit, le même jour, des pertes terribles en raison d'une explosion accidentelle à Nailliers en Vendée (onze tués dont quatre officiers). Cette période n'est pas de tout repos : le 1er mars 1945, la 2e compagnie (capitaine Albert Gérard) du I/131e RI participe à une contre-attaque menée dans le secteur de Saint-Jean-de-Liversay.
Relevé à son tour par le 46e RI dans la nuit du 27 au 28 mars et le 28 mars 1945, le 131e RI va être scindé en plusieurs éléments pour participer, mi-avril 1945, à l'assaut des poches du Sud-Ouest. Le II/131e RI (commandant Jean Poirier), recruté dans l'Aube, opère ainsi au sein du groupement Nord de la Division Gironde devant Royan, enlevant Jaffe le 18 avril 1945. Les I et III/131e RI servent eux en renfort de la Brigade Carnot, engagée dans le Médoc. Le 1er bataillon du commandant Lucien Vel est composé de volontaires aubois, le 3e (commandant Raoul Raynaud) est issu du 1er bataillon d'Eure-et-Loir. Tous sont coiffés du casque italien !
Acheminé vers le Médoc dès le 18 avril 1945, le III/131e RI a reçu pour mission d'attaquer sur l'axe voie ferrée - Le Verdon-sur-Mer, avec pour objectif la côte Est du Verdon. Sa base de départ : Le Goulet, qui serait aux mains du 154e régiment du génie d'assaut (ex-2e régiment d'infanterie du Lot, dit également 8e RI). Le renseignement est inexact, les volontaires d'Eure-et-Loire vont rapidement s'en rendre compte.
19 avril 1945
A 0 h 30, dans la nuit du 18 au 19 avril 1945, les hommes du bataillon Raynaud, qui viennent de dépasser ceux du 154e RGA à environ un kilomètre au sud du Goulet, se heurtent "aussitôt aux éléments avancés de l'ennemi" (journal de marche du 131e RI). Couvertes par la section de l'aspirant Lavigne (11e compagnie), la 13e compagnie (sous-lieutenant Charles Jandin), qui avance sur la route Soulac - Le Verdon, et la 14e compagnie (lieutenant Didier), qui progresse dans les marais au sud du village des Huttes, sont au contact.
JMO du régiment : "Ces éléments ne réussissent pas à faire sauter de nuit le "bouchon" allemand et toute manoeuvre de débordement est rendue impossible : à l'ouest de la route, la forêt est en feu, et à l'est, les marais sont inondés. Les Allemands lancent d'innombrables fusées éclairantes et leurs armes automatiques balayent la route en tir rasant."
JMO du III/131e RI : "6 h 15 : nouvelle attaque en vue de s'emparer des Huttes mais les Allemands battent efficacement la route devant la 13e compagnie, et la 14e compagnie échoue dans son mouvement débordant par l'Est, en raison de la présence des marais où les hommes avancent avec de l'eau jusqu'à la poitrine".
Une troisième attaque est nécessaire. C'est à 11 h qu'elle sera déclenchée, avec l'appui des tanks destroyers. La Maison de l'ingénieur, le sémaphore T et les Vissoules sont les objectifs du bataillon.
JMO du 131e RI : "Les hommes réussissent à s'infiltrer jusqu'aux lisières Sud du village des Huttes, mais ils sont de nouveau arrêtés et la section du sous-lieutenant Dives qui avait atteint la lisière Nord-Est des Huttes par un mouvement tournant est soumise à des tirs d'armes automatiques et de mortiers qui l'obligent à se replier. La 13e compagnie en face de laquelle se trouvait la principale résistance allemande, a essuyé de fortes pertes ([le] sous-lieutenant Jandin qui est blessé au bras, se fait soigner et revient prendre le commandement de sa compagnie quelques instants après) et la 14e compagnie qui opère dans les marais depuis le début de l'attaque est enterrée."
A 11 h 45, c'est la 11e compagnie du sous-lieutenant Hurel qui est engagée à gauche de la "13" pour réduire au silence les armes automatiques qui barrent la route. Une relation de la compagnie Hurel précise : "La section de l'aspirant Lavigne progresse mais est arrêtée par un violent tir de mitrailleuses et de mortiers. Pertes : soldats Candrelier, évacué, sergent-chef Dubois, soldat Leloutre. L'aspirant Lavigne va chercher Dubois et Leloutre qui n'avaient pu être ramenés par suite du tir trop violent de l'ennemi. Le soldat Malabout est blessé au cours de cette opération."
Il faudra attendre 19 h pour qu'un ultime assaut soit lancé. Le JMO du 131e RI rend compte : "La 13e compagnie et la 14e compagnie fixent l'ennemi par le feu de leurs armes automatiques pendant que d'autres éléments effectuent un double mouvement de débordement à l'ouest et à l'est. A l'ouest, la 11e compagnie à laquelle se sont joints le commandant Nicolas [Léon Nicolas, chef d'état-major du régiment] et le sous-lieutenant Bleuse (EM du RI) progresse en liaison avec une unité espagnole, appuyée par un peloton de chars Somua. A l'est, le commandant Raynaud fait armer en voltigeurs une soixantaine d'hommes de la compagnie de mitrailleuses et engins dont il confie le commandement au capitaine Hulot.
L'objectif à atteindre est toujours le village des Huttes. Les ouvrages et différents blockhaus qui interdisaient le franchissement du Goulet finissent par céder sous ce nouvel assaut et tombent les uns après les autres." Il s'agit des ouvrages désignés sous les noms de code Y 09 et Y 33 par les Français, S 307 et S 307 A par les Allemands. Ils sont constitués de 22 blockhaus accueillant en particulier dix pièces de 20 à 164. Leurs feux avaient bloqué les hommes de la 3e compagnie du I/38e RI.
Mais enfin, à 20 h 30, l'appui des chars – un peloton de Somua qui a attaqué "par la crête l'ouvrage des Huttes, avec une compagnie du III/131" précise le rapport du lieutenant-colonel Durand -, conjugué à l'action du Bataillon étranger à l'ouest de la crête, a permis au bataillon Raynaud d'enlever le village des Huttes.
Ses pertes, selon le JMO du régiment : dix tués et 66 blessés. Arrivé dans la journée en soutien, mais maintenu en réserve, le 1er bataillon déplore pour sa part deux tués et six blessés. Côté ennemi, le bilan n'est pas négligeable : le 131e RI a fait 196 prisonniers, dont deux officiers. « Presque tous de la Kriegsmarine », précise le JMO.
Les archives du régiment citent les noms de l'adjudant chef Léopold Sudre, 32 ans, des sergents-chefs Roger Charpentier et Lucien Hue, du sergent René Monnier, 19 ans, du caporal André Morize, 21 ans, des soldats Roger Paulmier, 20 ans, et René Richard, 21 ans, comme ayant été tués durant ces opérations les 19 et 20 avril (1).
Parmi les blessés, elles mentionnent les noms des sous-lieutenants Raymond Gardebled, Robert Doléans et Charles Jandin, de l'aspirant Roger Basquin, de l'adjudant Eugène Germain, des sergents-chefs Jacques Dubois, Roland Gossant, Maurice Hamelin et Maurice Siriès, des sergents Jacques Morel, Gaston Soulage, Raymond Gaschet et Benoist Rapely ou encore, parmi les soldats, ceux de Jean Leloutre, Pierre Candrelier, Jean Malabout...
20 avril 1945
La fin des combats dans le Médoc est proche. Ultimes objectifs : le Fort du Verdon et la Pointe de Grave. Pour les enlever, pas moins de trois régiments d'infanterie seront engagés : les 34e et 131e RI, le 154e RGA. Le 131e RI aura notamment pour objectif l'ouvrage dit du Sémaphore : celui du Verrier-Saint-Nicolas (Y 156/S 305). Tandis que le 34e obtient la reddition du colonel Prahl, commandant les troupes allemandes dans la poche, le I/131e RI (Vel) se heurte d'abord, dans sa progression, aux armes automatiques ennemies. Chef de section dans la 4e compagnie (capitaine Lucien Armanville), "le sous-lieutenant Bernard est grièvement blessé à l'épaule, rapporte le journal de marche du bataillon Vel. Après une marche sous-bois difficile et meurtrière, le bataillon est stoppé devant l'ouvrage Y 156", c'est-à-dire le sémaphore du Verrier-Saint-Nicolas.
Dans cet ouvrage, considéré comme "le plus important de la Pointe de Grave", la résistance est animée par le capitaine de corvette Birnbacher. "Les Allemands refusent de se rendre et abattent ceux des leurs qui désertent pour essayer de se constituer prisonniers", assure le JMO du 131e RI.
En fin d'après-midi, les TD du 13e régiment de dragons, qui ont franchi le fossé anti-chars, puis surtout, vers 18 h, l'aviation française intervenant en piqué attaquent l'ouvrage, qui sera également investi par le II/154e RGA. "Le groupe franc des transmissions pénètre le premier dans l'ouvrage qui est totalement occupé en moins d'une demi-heure, indique le JMO du bataillon Vel. On compte 140 prisonniers dont 20 officiers". Parmi eux : Birnbacher. Au III/131e, qui agissait à l'ouest de l'ouvrage, on parle pour sa part de 17 prisonniers. Pour cette journée, la dernière des combats, le régiment déplore deux morts et 18 blessés. « A 22 h, toute résistance allemande [a] cessé dans toute la Pointe de Grave », indique le JMO du 131e RI. Une nouvelle poche du Sud-Ouest vient de tomber.
22 avril 1945
Prise d’armes au terrain d’aviation de Grayan en présence des généraux de Gaulle et de Larminat. Le soldat Robert Soyer (CB I/131e RI) est décoré de la Croix de guerre, le sergent-chef Tachet (13e compagnie du III/131e RI) de la médaille militaire.
30 avril 1945
Après s'être battus dans le Médoc en renfort de la Brigade Carnot, les Aubois et les Euréliens sont mis à la disposition de la Brigade Marchand qui a reçu pour mission de conquérir l'île d'Oléron. Le Jour J de cette opération de débarquement française est fixé au 30 avril 1945. Le 131e RI ne fait pas partie de la première vague qui prend pied sur le sol d'Oléron : celle-ci concerne les 50e et 158e RI, ainsi que le Bataillon de fusiliers-marins de Rochefort.
Le JMO du 131e RI évoque sa participation aux opérations, après avoir débarqué : "Afin de reconnaître les possibilités d'exploiter en direction de Saint-Pierre-d'Oléron où se trouve le PC du commandement allemand, le lieutenant-colonel Durand donne au lieutenant de Fleurieu, commandant le peloton de six chenillettes du 18e chasseurs, la mission suivante : reconnaître si la Pointe d'Ors et le château sont occupés et dans quelles conditions, reconnaître si l'ennemi tient Dolus sur la route de Saint Pierre-d'Oléron."
Norbert Durand, qui avait pris le commandement de l'infanterie de la Division Marchand, accompagne les chasseurs à cheval qui font une trentaine de prisonniers en marchant sur le château, puis une douzaine d'autres à Dolus. JMO : "A La Dresserie, faubourg de Saint-Pierre, il rencontre une résistance organisée (mitrailleuses lourdes et quatre pièces de 77) et les chenillettes se replient sous le feu de l'artillerie ennemie. Un petit poste ennemi commandé par un officier est encore capturé."
A l'ouest, "la situation n'est malheureusement pas aussi favorable ; nos troupes sont sérieusement accrochées aux Allassins par des tirs de mortiers et de mitrailleuses ennemies. Les fusiliers-marins du capitaine Dupain [Dupin] de Saint-Cyr subissent des pertes, la fatigue se fait sentir et ils doivent se replier sur Grand-Village pour passer la nuit". Une nuit que les Allemands présents aux Allassins mettent à profit pour se replier, tandis qu'une section de la 1ère compagnie du I/131e arrive dans l'île à 23 h.
1er mai 1945
C'est à 11 h, le lendemain, que devant l'absence de réaction ennemie, le II/131e RI et les chars sont lancés dans l'action. Ces éléments "dépassent le 50e RI pour attaquer Saint-Pierre par débordement, avant de pousser jusqu'à la pointe Nord de l'île en nettoyant la zone Ouest de la route nationale. L'ennemi réagit énergiquement à la ferme de la Clairière, à La Dresserie, mais à midi ces derniers îlots de résistance faiblissent.
A 14 h, un groupe de volontaires sous le commandement du capitaine Bourguignon attaque le garage allemand, puis la Kommandantur de Saint-Pierre-d'Oléron, faisant prisonniers 20 officiers et 30 sous-officiers. Le capitaine de corvette Graft von Schmitz, commandant l'île d'Oléron, est parmi les prisonniers". C'est sur l'ordre de celui-ci que les ouvrages des Boulassiers et du Douhet se rendront. Tandis que le 158e RI prend les ouvrages de la région de Sauzelle-Boyardville, "le II/131 et les chars prennent à revers les défenses de la Thibaudière-Bonnemie, nettoient la région Ouest et dégagent les abords mêmes de Saint-Pierre-d'Oléron ".
A 19 h, le drapeau français flotte sur le fort de Chassiron. Une heure après, l'île était redevenue française. Selon le JMO du régiment, dont un homme, Ploton, du II/131e, sera décoré de la croix de guerre le lendemain par le général de Larminat, 1 700 prisonniers ont été faits.
Le 131e et le I/32e régiment d'artillerie resteront dans l'île comme troupes de garnison. Mais le régiment ne méritera pas de citation pour ces opérations. Le général René Marchand s'en expliquera dans une lettre : "Ce bataillon progressa rapidement, libéra le nord-ouest de l'île et ramassa de nombreux prisonniers, il atteignit le soir la partie Nord de l'île sans avoir rencontré de résistances organisées. Ce bataillon a donné toute satisfaction mais n'a guère eu l'occasion de montrer sa tenue au feu".
(1) Parmi les hommes du 131e RI tués ou mortellement blessés devant Le Verdon ou Royan, citons également : Raymond Durand, 19 ans, Maurice Laine, 23 ans, Félix Satroka, 27 ans, Rémy Daubenton, 19 ans, Jacques Dietenbeck, 17 ans et six mois, Raymond Germain, 20 ans, Jean Payen, 19 ans, André Humbert, 20 ans, Louis Orlandi, 27 ans, André Ravise, 24 ans, Omar ben Mohamed, Pierre Dommange, 19 ans...
Sources : archives du 131e régiment d'infanterie, GR 12 P 23, SHD, Vincennes.