Les journaux de marche, historiques, rapports d'officiers des unités FFI servant dans la 1ère armée française qui sont conservés à Vincennes, des témoignages publiés dans les ouvrages écrits par des vétérans ou des historiens permettent de rendre compte des difficultés rencontrées par les jeunes volontaires de 1944 pour libérer le nord-est de la France. En voici quelques exemples recueillis au cours de nos recherches.
Corps-franc Bayard, bois du Mont de Vannes (Mélisey, Haute-Saône), 25 septembre 1944
"A l'est, les bois du Mont de Vannes que nous sommes appelés à nettoyer fument... Enfoncés de plus en plus profondément dans le bois, nous finîmes par sentir une présence hostile qui ne se manifestait pas. [...] L'honneur périlleux de tourner une résistance ennemie bien placée nous est laissé. En cinq minutes deux morts s'affaissent sur les pierres sans que la position soit meilleure. Roger s'avance à son tour et à son tour tombe, une balle dans la tête […]. A présent il faut déplacer des pierres, faire son trou, prévoir la nuit à cette place..." (lieutenant Jean-Pierre Rouchié, Les nouvelles compagnies franches du Tarn, 1946).
Brigade indépendante Alsace-Lorraine, bois le Prince (Ramonchamp, Vosges), 4 octobre 1944
Le bataillon BARK "progressa à droite avec facilité avant de se heurter à des nids d'armes automatiques qu'il réduisait au prix de pertes sensibles […]. La gauche se heurta de suite à des armes automatiques qu'elle ne put détruire. Vers 17 h, la progression était arrêtée et le bataillon recevait l'ordre de s'enterrer sur le terrain conquis lorsque les chars entreprirent une action énergique de nettoyage devant la partie Nord du front du bataillon. Cette action provoqua un repli précipité de l'ennemi dont les unités FFI profitèrent pour gagner la lisière Est du bois. A la tombée de la nuit, l'ensemble du Bataillon Valmy relevait BARK qui avait perdu huit tués et quinze blessés" (rapport du lieutenant-colonel Pierre Jacquot).
8e régiment de dragons, Trougemont (Vosges), 10 octobre 1944
« … 8 h : les escadrons de premier échelon ouvrent le feu sur Trougemont, l’avant-garde attaque Trougemont au canon. Des crêtes où progressent le commandement et l’escadron du Chéné, on voit les [Allemands] abandonner le village, courant vers les bois au sud, mitraillés par les armes automatiques. Nos éléments de premier échelon pénétrant dans Trougemont avec les chars tuent une dizaine d’Allemands et font [une] vingtaine de prisonniers. Le sous-lieutenant Maury avec le maréchal des logis-chef Fournier et le maréchal des logis Fournès de l’EHR grenadent une cave où sont réfugiés des Allemands et font sept prisonniers... » (journal de marche du 8e dragons).
Corps franc Pommiès, Le Thillot (Vosges), 22 novembre 1944
"Au nord, les éléments en position sur le Grand-Mont sont toujours arrêtés par des armes automatiques tirant de Lachapelle. Des détachements de renfort sont envoyés qui progressent dans le thalweg du stand de la Ravanne, qui sont arrêtés par des armes automatiques ennemies qui étaient restées muettes à l'extrémité Sud du thalweg entre le Mont des Brocheux et l'objectif de Grand-Mont situé à 500 m sud-ouest du hameau de l'Etat. Un autre élément attaque l'objectif du Grand Mont en débouchant de la plaine. Au sud du dispositif, région étang de la Truite, étang de la Peau, des éléments de la division ayant négligé un certain nombre de résistances ennemies, celles-ci gênent la progression. 16 h 50. Le CFP reçoit l'ordre d'organiser les lignes atteintes et de ne plus entreprendre que des actions en zone avec appui d'artillerie. Nos pertes : treize tués, 69 blessés." (journal de marche du CFP/49e RI).
152e régiment d'infanterie, bois de l'Oberwald (Friesen, Haut-Rhin), 26 novembre 1944
« Les sections s'accrochent au terrain, ripostent au feu ennemi, parent à un débordement, se maintiennent. Un élément même poursuit sa progression, arrivant à quelques dizaines de mètres du PC du colonel commandant la défense de l'Oberwald. Le feu devient de plus en plus intense, la situation critique. Les tirs d'arrêt ennemis s'abattent sur le deuxième échelon, fauchant de nombreux hommes. Il faut se replier. L'ordre de repli donné par le commandant de bataillon est exécuté à contre-coeur, mais face à l'ennemi au moyen de petites contre-attaques, après évacuation de tous les blessés et en ramenant quelques prisonniers. » (historique du 152e RI).
Corps franc Pommiès, Le Petit Drumont (Vosges), 29 novembre 1944
« Il neige ; le vent est furieux et glacial […] ; la visibilité est presque nulle, car un épais rideau de neige empêche nos hommes d'y voir à 35 mètres... Les Boches qui nous ont entendu progresser tirent sur les cibles qui se détachent merveilleusement sur la neige immaculée... Nos armes s'enrayent, les canons et les culasses bourrés de neige... Poisson est tué net d'une balle dans la tête. Spoher tombe lui aussi. Le sergent-chef Benoist veut lui porter secours, il est pris dans le tir des Boches... Une balle l'atteint au bras gauche... De Courrèges est mortellement touché en allant chercher un de ses hommes blessé. Trois hommes tombent : l'aspirant Broussier, Bloch André, Beau. Rolland lui aussi est tué, tandis que Civrac de Fabian est blessé par une balle au mollet, que Domec a le biceps traversé par une balle, que Coutaux leur ramenant le corps du lieutenant de Courrèges est lui aussi blessé, et que Hegg, témoin de ce spectacle affreux, est commotionné et gelé... » (témoignage d'Henri Juppé, cité par René Giraudon, Le Corps franc Pommiès (3), 1995).
Brigade légère du Languedoc, Village-Neuf (Haut-Rhin), 30 novembre 1944
"Après deux tentatives infructueuses, et avec l'appui de deux tanks-destroyers, la section Cailholl réussit à franchir le pont vers midi. Le 2e commando fait la jonction avec le II/6e RIC venu de Rosenau sur Village-Neuf. Combat très dur dans le village, où l'ennemi est retranché dans de nombreuses maisons. Le village est nettoyé vers 15 h. Certains éléments atteignent le Rhin et avancent en direction de Huningue. Le lieutenant-colonel Brugié, suivi de trois hommes, s'empare de la tranchée le long du canal et y fait 29 prisonniers. Le nombre de prisonniers du groupe de commandos à la fin de la journée est de 92. A 16 h, Village-Neuf est entièrement occupé. Les Allemands tiennent encore Huningue." (journal de marche du groupe de commandos, AD 34).
1er bataillon de l’Aveyron, Lansauchamp (Vosges), 2 décembre 1944
« Ce matin, à 5 h, le capitaine Félix [Eugène Pilate] est parti reprendre aux Boches les corps de notre camarades ; Julien a voulu l’accompagner ; ils se sont dirigés vers la compagnie 4 201 à laquelle appartenaient ses trois amis. Là d’autres gars les ont suivis, en particulier quelques-uns de la patrouille malheureuse. A 9 h, ils arrivaient aux positions que les Boches avaient abandonnées, il y a très peu de temps. Les cadavres de nos amis sont à côté. Le sous-lieutenant Lubecki Max a été atteint d’une balle en plein front, une autre lui a traversé la joue. Le sergent Bartoletti lui aussi a été tué d’une balle dans la tête, quant à Gonzales Antoine (Michaud), c’est une balle explosive dans la tempe qui lui ôta la vie. Le sous-lieutenant Lubecki a eu les poches vidées en partie. » (journal de marche du bataillon).
1er régiment du Morvan, Mollau (Haut-Rhin), 2 décembre 1944
« Nous montons au refuge du Gazon-Rouge par un difficile chemin de montagne et traversons là, la frontière d'Alsace. Après une pause de deux heures, nous redescendons par un chemin abrupt et étroit, couvert de rochers et de glace et parfois dominant le vide... Nous traversons le premier pays alsacien, Storckensohn. La compagnie arrive harassée à Mollau. » (journal de marche de la 11e compagnie, communiqué par Stephen Martin).
Groupe d'escadrons du 1er régiment de Franche-Comté, Le Hohneck (Vosges), 3 décembre 1944
"Le capitaine Couturier a déjà fait reconnaître les avancées du Hohneck par une patrouille. Le lieutenant Baxerres, commandant le 3e escadron, dit simplement : "Je vais au Hohneck". » Malgré la neige qui tombe, « le 3e escadron passe au milieu des lignes ennemies ; les sentinelles allemandes hésitent à tirer sur ces fantômes blancs... Au sommet, la surprise est complète ; nos hommes prennent l'hôtel d'assaut... A 19 h, un compte-rendu parvient au Haut Chitelet annonçant l'occupation du Hohneck... Vers minuit, une contre-attaque est repoussée..." ("La prise du Hohneck par les FFI de Franche-Comté", journal Rhin et Danube, octobre 1998).
3e régiment de dragons (ex-Corps franc Bayard), col de La Schlucht (Vosges), 5 décembre 1944
« Le feu ennemi semble faiblir. Au lieu de décrocher, le lieutenant Barbas, entraîné par son élan, poursuit le combat. A 14 h 35, interpellée en allemand par le maréchal des logis Dotzler, la garnison d'une casemate […] demande à se rendre, ayant plusieurs hommes hors de combat. Le lieutenant Barbas, au lieu de faire cesser le feu, se lève alors, fait hisser une mitrailleuse par deux hommes pour mieux viser, et la servant lui-même, debout, se met à tirer ses rafales et s'abat tué d'une balle en pleine tête... » (journal de marche du 1er groupe d'escadrons).
3e bataillon, 1er régiment de volontaires de l'Yonne, Michelbach (Haut-Rhin), 7 décembre 1944
« Vers 9 h 30, les groupes d'attaque des sections des 8e et 9e compagnies s'élancent de part et d'autre de la D 34, leur axe de progression. Aussitôt, l'ennemi riposte et encadre de rafales de mitrailleuses, de mortiers de 81, d'obus de 88, de 150, les assaillants – tombent alors Boulmier, tué, Torton, Bérard, gravement blessés. L'adjudant Chillard, avec les Hanker, Bonnardel, Cappé, Lenne et d'autres, rampant dans le fossé qui borde la route, parviennent à 250 m du village, d'où ils voient la rue centrale s'ouvrir devant eux. Mais de son observatoire du clocher, l'ennemi les voit encore mieux et les bloque sur place avec ses mortiers (l'agent de liaison Bonnet est tué dans le fossé), alors qu'ils attendent les chars qui ne suivent pas, et pour cause. A 10 h 30, notre Sherman de tête saute, projectile de panzerfaust ou 88 d'un Panther qui se manifeste alors à 1 400 m, embossé dans Michelbach. Le commandant Charpy demande au commandant des blindés, qui craint le Panther, d'avancer, toute sa colonne étant stoppée en attente de décision. A 11 h 30, le commandant Charpy, chef du 1er bataillon, est tué à son poste d'observation par un éclat d'obus de 88 » (témoignage du caporal Luc Berton, archives Arolsen, AD 89).
1er bataillon du Charollais, entre Bourbach-le-Bas et Roderen (Haut-Rhin), 7 décembre 1944
"16 h 30 : mouvements des chars ; contre-attaque allemande après violente préparation par minen qui arrosent le bois, les lisières de la cote 475. La position étant intenable, la compagnie étant sans appui à droite et à gauche et n'ayant aucune vue, le terrain permettant à l'ennemi de s'infiltrer à droite dans le bois et d'opérer un mouvement tournant, la compagnie se replie à la cote 475. La traversée du champ de mines et les tirs de minen causent la perte de trois hommes ; les chars n'étant plus en place pour nous permettre de contrôler les issues du bois, la compagnie reprend sa position au sud de 475. La contre-attaque allemande arrive à la crête, quelques éléments tentant de s'infiltrer sur la droite et ils sont stoppés par un groupe d'Indre-et-Loire. 17 h 45 : la situation est rétablie, l'ennemi se contentant de tirer quelques rafales de mitraillettes sur nos positions. 18 h : la compagnie est relevée par la 1ère ." (compte-rendu de la 2e compagnie, AD 71).
