Mis sur pied après la libération de Dijon (11 septembre 1944), le Régiment de Bourgogne (commandant René Alizon, dit Guy) combat aux côtés des tirailleurs marocains de la 2e DIM depuis le lancement de l'offensive dans la Boucle du Doubs le 14 novembre 1944. Créé à partir de la colonne R5, le Régiment de marche Corrèze-Limousin (lieutenant-colonel René Vaujour, dit Hervé) vient de participer à la libération du Territoire de Belfort. Ces deux unités d'origine FFI vont être douloureusement éprouvées lors des combats de Bourbach-le-Bas et de la cote 475, les 30 novembre et 1er décembre 1944. En voici une relation détaillée.
30 novembre 1944.
"Bourgogne face aux chars à Bourbach-le-Bas.
Entre Doller et Thur, la 7e compagnie du II/Régiment de Bourgogne, qui opère au sein du groupement de Berchoux, a pris position entre Sentheim et Bourbach-le-Bas.
Au matin, elle part nettoyer la forêt de l'Eichwald, au sud-ouest de Bourbach en direction de la Doller et de Guewenheim. Son soutien : le peloton du lieutenant Eblé, du 2e escadron du 6e régiment de chasseurs d'Afrique qui, à 11 h 45, quitte ses positions.
Vers 14 h, les trois chars du peloton Eblé, qui sont accompagnés par des légionnaires du Régiment de marche de la Légion étrangère, détruisent, aux lisières Est de l'Eichwald, un canon de 75 PAK et un canon léger, pour un half-track américain que les Allemands avaient récupéré. C'est à proximité de ce véhicule que la section de FFI bourguignons du lieutenant René Mazzolini fait 32 prisonniers.
L'activité du lieutenant Eblé est telle qu'à 15 h, le peloton est à court de munitions. Il doit être relevé par un autre peloton du 6e RCA, celui du lieutenant René Hodin. Ce dernier dispose de trois Sherman et d'un TD, le "Bretagne" du 4e escadron du 11e RCA. Mais plutôt que de se diriger sur l'Eichwald, le peloton Hodin gagne la cote 475, la hauteur au nord-est de Bourbach-le-Bas sur la route de Roderen... au moment où les Allemands lancent une contre-attaque blindée. Trois Jagdpanther et un Panther viennent en effet d'apparaître sur la crête...
Bourbach-le-Bas et ses abords sont alors défendus par le I/Bourgogne (capitaine Paul Loquin), continuellement sous le feu ennemi depuis le matin. Ainsi, à la CA qui a été endeuillée par la mort du sergent Robert Sommet et qui vient de prendre position dans un bois à moins d'un kilomètre du village, les chars ennemis, par leurs tirs, ont blessé mortellement André Machin et l'infirmier Jacques Robert.
Dans l'après-midi, c'est le capitaine Bernard Giraud, commandant la compagnie, et André Dureuil qui sont tués dans le verger à l'est de Bourbach-le-Bas. Le lieutenant Jean de Montalembert remplacera Giraud, qui était prêtre dans le civil. Celui-ci n'est pas le seul commandant d'unité du régiment à trouver la mort en ce tragique 30 novembre 1944 : le capitaine Scipion Nasica, de la 1ère compagnie, est tué en fin de matinée par un obus ayant explosé sur une butte. Sans doute la cote 475, objet de la contre-attaque allemande.
En quelques instants, deux des chars du lieutenant Hodin brûlent, le troisième est touché. René Hodin, les brigadiers Paul Carrière et Jean-Marie Regnier, les chasseurs Jean Grollet, Camille Masson, André Tisserand sont tués ou mortellement brûlés.
Un peloton de TD du 2/8e RCA, celui du lieutenant Ayoun, est engagé pour briser la contre-attaque. Il détruit deux des trois Jagdpanther et met en flammes le Panther. Le troisième Jagdpanther se replie. De son côté, le lieutenant Eblé a décroché pour rentrer, à 18 h, à Guewenheim, avec le TD "Bretagne".
L'intervention des chars allemands a entraîné une certaine panique parmi les fantassins qui tenaient la cote 475. L'affaire est évoquée par l'historique du 1er régiment de fusiliers-marins, qui est soutenu par l'escadron Bourgeois du 11e régiment de cuirassiers. "Le 3e escadron (capitaine Fourlinie) contribue à repousser une contre-attaque de blindés allemands vers 15 h. Le peloton Le Sant, au contact, tire à la 12,7 sur des Jagdpanther armés de 88, qui détruisent un scout-car. Les fusiliers-marins combattent à terre [...] Les fantassins (bataillon algérien du 4e RTM et FFI Bourgogne) affolés par la parution des chars refluent en désordre, officiers compris, dans Bourbach-le-Bas, et même sur les pentes à l'ouest du village, à l'exception d'une section du 4e RTM restée dans les bois au nord-ouest de 475".
Le "rapport au sujet des unités FFI employées par le 4e RTM" fait le même constat implacable, le 15 décembre 1944 : "La fatigue et les intempéries aidant, les deux derniers engagements [du Régiment de Bourgogne] furent lamentables. Devant Bourbach-le-Bas, deux capitaines [ayant été] tués et un grièvement blessé [...], [les] compagnies refluèrent en désordre au cours de la contre-attaque de chars."
Trois officiers bourguignons tués dans l'Eichwald
Cette contre-attaque a surpris les hommes du lieutenant Mazzolini engagés dans la forêt de l'Eichwald. Agé de 37 ans, l'officier est tué, ainsi que le sous-lieutenant Pierre Jeanson. Les FFI doivent se mettre à l'abri dans les fossés situés de part et d'autre de la route qui relie les deux bois. Leurs pertes ont été lourdes : le sergent Roger Bergeron, Georges Reygner, Guy-Roger Boffy (il est né le 28 juillet 1928 en Côte-d'Or), Maurice Garnier, Etienne Noirot, Raoul Tonnet, Paul Voituret ont été tués, avant que les chars français interviennent.
Dans la soirée encore, une vingtaine d'hommes de la 7e compagnie du lieutenant Armand Salade sont encerclés dans la forêt, combat au cours duquel le lieutenant Robert Eltrich trouve la mort. Secourus par les blindés, les hommes de la "7" sont relevés et envoyés en réserve à Soppe-le-Bas.
Egalement engagée, la CA 2 du capitaine Max Forêt déplore sept tués à la fin de cette rude journée : Georges Devot, Pierre Gaillard (17 ans), Pierre Reynal, Roland Coudrier, Marceau Garnier, Maurice Gicquel et le caporal René Ramaget. Le sous-lieutenant Jean Cuff a été blessé, et deux hommes faits prisonniers (1).
Corrèze-Limousin arrive en plein combat
Une autre unité FFI va faire connaissance avec la cote 475 : c'est le Régiment de marche Corrèze-Limousin (RMCL), qui assurait jusqu'alors la défense de Felon et de Petite-Fontaine.
A 11 h, ordre est donné au 2e bataillon du commandant Gustave Lhermite d'embarquer en camions jusqu'à Soppe-le-Bas, puis de gagner Sentheim et Bourbach-le-Bas afin d'attaquer en direction du Bruckenwald, un bois situé entre la cote 475 et la route Guewenheim - Roderen. Les informations données à Lhermite et à son adjoint, le commandant Emile Dugros, font état de la possible perte de Bourbach. La progression se fera donc prudemment par le Bergwald, entre Sentheim et Bourbach.
C'est aux environs de 15 h que le mouvement s'enclenche, par le passage de la Doller sur un pont.
Commandant Lhermite : "Bourbach paraît encore tenu par des éléments amis, notamment des chars, et au moment du départ à l'attaque, un combat de chars se déroule sur les pentes de la cote 475". Il s'agit de l'affrontement entre les Jagdpanther et les TD du 8e RCA.
Gustave Lhermite : "Dévalant les pentes vers Bourbach, une salve de 88 éclate sur les premiers éléments". Joseph Roulhac et Robert Jannicot, de la 6e compagnie, sont tués, le sergent Palard grièvement blessé. "Les 6e et 7e compagnies traversent vite Bourbach pour atteindre la crête 433-412", c'est-à-dire la route en forme de virage en épingle qui relie le village à Roderen et qui débouche sur la cote 475. "Profitant de la confusion que les chars français ont créée sur les pentes de 475, la 6e compagnie, animée par la capitaine [Fernand] Fady, continue la progression, couverte sur son flanc gauche par la section Delage [...] La 7e compagnie lie son mouvement à celui de la 6e sur les pentes du Bruckenwald. Elles s'y enterreront car la nuit tombe."'
A leur tour, la CA 2 du capitaine François Finas et la compagnie anti-chars du lieutenant Chambon arrivent dans le secteur et s'installent sur la ligne 433-412. Elles sont rejointes, à 21 h, par la 5e compagnie du capitaine Alphonse Picard. Agé de 18 ans, Gilbert Lenoir, originaire de Couzeix, se souvient : "Nous avons pris position en bas de la côte, il fait froid, il tombait de la neige mêlée de pluie. Nous avons dû creuser des trous individuels qui se remplissaient d'eau..." Le commandant Lhermite garde plutôt le souvenir d'une nuit "claire avec la lune, elle commence dans le calme en dehors d'un tir assez épars avec de l'artillerie allemande et de mortiers" (2).
L'entrée en ligne des Limousins a permis la relève des Bourguignons fortement éprouvés. La CA 1/Bourgogne redescend à Bourbach-le-Bas et se place en bouchon sur les routes de Bourbach-le-Haut et Thann. La 1ère compagnie est relevée à minuit."
[...]
1er décembre 1944
"Les FFI de Haute-Vienne perdent la cote 475
C'est durant cette même nuit du 30 novembre au 1er décembre 1944 qu'une nouvelle action offensive allemande est déclenchée au-dessus de Bourbach-le-Bas, sur la cote 475. L'affaire aura marqué le commandant Lhermite, qui la racontera en détail.
Il est environ 2 h lorsque les Allemands lancent un premier assaut sur les positions des compagnies Fady et Le Guillou, après préparation d'artillerie : "Bien enterrées, elles repoussent l'attaque, avec l'aide des tirs d'artillerie et de mortiers de la CA 2. Mais les jeunes, surtout à la 7e compagnie, ont dépensé beaucoup de munitions, alors que nous avons laissé une partie de la dotation à Felon, suivant les ordres d'allègement."
Vers 3 h 30, c'est un nouveau bombardement d'obus de 105 et de mortiers, de balles de mitrailleuses de 20 sur la ligne 433-412 et Bourbach. La nouvelle attaque qui lui succède est repoussée, mais les hommes du capitaine Charles Le Guillou n'ont presque plus de munitions. Pour maintenir leurs positions, ils se verront remettre une dotation ainsi que deux FM par les pionniers.
Une heure plus tard, le feu s'abat à une troisième reprise sur le bataillon Lhermite, qui attend avec impatience un ravitaillement par mulets. Cette fois, la situation est dramatique. La 7e compagnie a besoin de renforts. Lhermite lui envoie la 5e du capitaine Alphonse Picard. Mais les hommes du capitaine Le Guillou lâchent pied. L'officier vient lui-même annoncer cette nouvelle, "à bout de nerfs", à son chef de bataillon, vers 5 h 30. "La moitié de ses effectifs est détruite et les survivants se sont enfuis", note le commandant Lhermite.
Le chef de bataillon voit le danger : ce mouvement de reflux menace la 6e compagnie sur sa droite. Il ordonne à l'artillerie d'intensifier ses tirs d'arrêt devant la compagnie Fady, tandis qu'il confie au lieutenant de Solere la mission de reprendre en main la compagnie Le Guillou, dont le capitaine est toujours choqué, et de la ramener sur 433-412.
Mais voilà que, vers 6 h 30, le capitaine Fady arrive à son tour au PC. "Il a donné l'ordre de repli à ses sections : il ne pouvait plus tenir, débordé sur ses flancs, sans munitions, la première ligne attaquée au corps à corps", rapporte Lhermite, qui rend compte à son chef, le lieutenant-colonel Vaujour, de la perte de la cote 475 et du repli. Evidemment, Hervé est "furieux".
Enfin, le ravitaillement arrive. Le jour s'est levé. Le lieutenant-colonel de Metz, de l'état-major du RMCL - dont le 1er bataillon du commandant Pierre Merlat n'a pas été engagé - ordonne la reprise de 475. Mais c'est un bataillon très éprouvé, dont deux officiers viennent d'être blessés - le capitaine Vaucheret, de la CB, et le capitaine Fady, touché au côté et surtout au genou - que commande Lhermite, lequel garde en mémoire les "cris et gémissements de plus de 50 blessés" au poste de secours.
A la 6e compagnie, il n'y a plus que 45 hommes autour du lieutenant Quenot. La section de l'adjudant Albert Delage, composée de jeunes de la région d'Ambazac, a disparu. Au moins quatre de ses hommes, le caporal-chef Marcel Bertrand, les soldats Roger Quiecout, Jean Frugier et René Pichon, ont été tués. Les autres, à court de munitions, ont été fait prisonniers, dont Delage, ancien sous-officier de dragons, qui a été grièvement blessé. De son côté, la 7e compagnie déplore quatre tués, dix blessés et deux disparus.
Seule, finalement, la CAC du lieutenant Chambon sera lancée dans l'opération, à partir de midi, en progressant par la vallée de Michelbach. Mais ce sera un échec : vers 13 h, elle est stoppée à la cote 475 par des tirs d'infanterie, de mortiers, d'artillerie et même d'un char. Ses hommes doivent se terre dans les trous de combat anciennement occupés par la "6". "Le bataillon ne peut faire plus", se résigne le commandant Lhermite, dont un nouvel officier, le sous-lieutenant Chauviret, vient d'être "choqué" par l'explosion d'un obus. "La nuit va tomber", et tandis que la CAC reste sur ses emplacements, le chef du II/RMCL demande au capitaine Le Guillou d'installer un point d'appui entre la CAC et le I/4e RTM du commandant Thouvenot, afin de barrer la route Bourbach - Roderen. Nouvelle fin de non recevoir de l'officier, qui va bientôt partir en convalescence. Le lieutenant Quenot accepte la mission. Et le II/RMCL s'en tiendra là, restant sur ses positions jusqu'au 3 décembre.
Les pertes sont terribles au bataillon Lhermite, qui avait déjà perdu 46 hommes depuis le 19 octobre 1944 : quatre officiers et 17 soldats tués, quatre officiers, onze sous-officiers et 32 soldats blessés, deux sous-officiers et 18 soldats disparus. Soit 95 hommes mis hors de combat, dont 73 appartenant à la 6e compagnie (3). Un sous-officier, le sergent-chef Robert Malassenet, se sera distingué durant ces combats, après être tombé, avec une patrouille de trois hommes poussée sur la cote 475, "sur un point d'appui ennemi d'une trentaine d'hommes qu'il a attaqué courageusement et sans hésiter. A ramené dans nos lignes une mitrailleuse légère, un prisonnier".
Le RMCL n'aura pas été la seule unité d'origine FFI à avoir été éprouvée durant cette rude affaire. Dans cette contre-attaque, la 2e compagnie du I/Bourgogne a perdu trois tués (Pierre Dechaux, René Mairet, Pierre Voisin) et deux prisonniers."
Sources : "Les volontaires de l'an 1944", tome 1 (2021), chapitre rédigé à partir de l'ouvrage de Gilles Hennequin, "Le Régiment de Bourgogne" (2006), et des souvenirs du commandant Gustave Lhermite, ainsi que d'archives conservées au SHD à Vincennes sous la cote GR 13 P 75.
(1) Selon le ministère des Armées, Bernard Corneaux est également mort pour la France à Sentheim, et Thoéophile Bytomski dans l'Eichward. Gilles Hennequin ne les recense pas, mais cite, parmi les morts, Stanislas Szurlej et Jean Briot.
(2) Dans le magazine "Vivre à Couzeix".
(3) Autres soldat du II/RMCL tués le 1er décembre 1944 : Armand Barrière, caporal-chef Auguste Bernhard, sergent-chef René Charles, Raymond Desjacques, sergent Adolphe Dormet, Roger Lamonge, Gaston Laubuge, Edmond Legrand, Charles Lelorrain, René Lelorrain, Lucien Maneix, caporal-chef Maurice Marbach, Marcel Perichon, Abel Teulier, Louis Lalet. Pierre Boutaud meurt de ses blessures à Belfort. Le commandant Lhermite cite aussi le caporal Marcel Dory, mentionné comme décédé le 21 décembre 1944 en Allemagne, le caporal Henri Froment et Louis Cheyroux, morts le 2 décembre 1944 à Belfort.
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